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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 08:56

Une femme est l'amour, la gloire et l'espérance ;

Aux enfants qu'elle guide, à l'homme consolé,

Elle élève le coeur et calme la souffrance,

Comme un esprit des cieux sur la terre exilé.

 

Courbé par le travail ou par la destinée,

L'homme à sa voix s'élève et son front s'éclaircit ;

Toujours impatient dans sa course bornée,

Un sourire le dompte et son coeur s'adoucit.

 

Dans ce siècle de fer la gloire est incertaine :

Bien longtemps à l'attendre il faut se résigner.

Mais qui n'aimerait pas, dans sa grâce sereine,

La beauté qui la donne ou qui la fait gagner ?

 

Une femme est l'amour - Gérard de NERVAL (1808-1855)

 

 

Les femmes, je le sais, ne doivent pas écrire ;

J'écris pourtant,

Afin que dans mon coeur au loin tu puisses lire

Comme en partant.

 

Je ne tracerai rien qui ne soit dans toi-même

Beaucoup plus beau :

Mais le mot cent fois dit, venant de ce qu'on aime,

Semble nouveau.

 

Qu'il te porte au bonheur ! Moi, je reste à l'attendre,

Bien que, là-bas,

Je sens que je m'en vais, pour voir et pour entendre

Errer tes pas.

 

Ne te détourne point s'il passe une hirondelle

Par le chemin,

Car je crois que c'est moi qui passerai, fidèle,

Toucher ta main.

 

Tu t'en vas, tout s'en va ! Tout se met en voyage,

Lumière et fleurs,

Le bel été te suit, me laissant à l'orage,

Lourde de pleurs.

 

Mais si l'on ne vit plus que d'espoir et d'alarmes,

Cessant de voir,

Partageons pour le mieux : moi, je retiens les larmes,

Garde l'espoir.

 

Non, je ne voudrais pas, tant je te suis unie,

Te voir souffrir :

Souhaiter la douleur à sa moitié bénie,

C'est se haïr.

 

Une lettre de femme - Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859)

 

 

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7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 11:19

J'ai vu passer, l'autre matin,

Un jeune Dieu dans la prairie ;

Sous un costume de féerie

Il sautillait comme un lutin.

 

Tout perlé d'or et d'émeraude,

Sans arc, sans flèche et sans carquois,

En chantonnant des vers narquois,

Il s'en allait comme en maraude.

 

Il redonnait, à chaque bond,

L'onde aux ruisseaux, des fleurs aux rives,

Des alouettes et des grives

Au saule creux et moribond.

 

Le fol Archer buveur de larmes,

Pour une fois pris en défaut,

À travers champs riait tout haut

De n'être plus qu'un fou sans armes !

 

Et singeant l'air d'un franc routier,

Fier de trahir son roi morose,

Il arborait un drapeau rose

Pour délivrer le monde entier !

 

L'amour en fraude - Léon DIERX (1838-1912)

 

 

" Quand le pouvoir de l'amour dépassera l'amour du pouvoir, le monde connaîtra la paix. "
Jimi Hendrix
 
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7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 10:27

4′33″ est une partition de musique avant-gardiste composée par John Cage, souvent décrite comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence » (mais qui est en fait constituée des sons de l'environnement, que les auditeurs entendent lorsqu'elle est interprétée).

Le morceau a été écrit en principe pour le piano et est structuré de trois mouvements principaux. Sur la partition, chaque mouvement est présenté au moyen de chiffres romains (I, II & III) et est annoté TACET (« il se tait » en latin), qui est le terme utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un instrumentiste qu'il doit rester silencieux pendant toute la durée du mouvement.

« Le titre de cette œuvre figure la durée totale de son exécution en minutes et secondes. À Woodstock, New York, le 29 août 1952, le titre était 4′33″ et les trois parties 33″, 2′40″ et 1′20″. Elle fut exécutée par David Tudor, pianiste, qui signala les débuts des parties en fermant le couvercle du clavier, et leurs fins en ouvrant le couvercle. L'œuvre peut cependant être exécutée par n'importe quel instrumentiste ou combinaison d'instrumentistes et sur n'importe quelle durée. »

L'origine de la pièce

 

En 1948, Cage visita la chambre insonorisée de l'université Harvard. Cage s’attendit à « entendre » le silence lorsqu’il entra dans la chambre, mais comme il l’écrivit plus tard : « j’entendis deux bruits, un aigu et un grave. Quand j’en ai discuté avec l'ingénieur en charge, il m’informa que le son aigu était celui de l’activité de mon système nerveux et que le grave était le sang qui circulait dans mon corps. »

 

Cage était sceptique quant à la fiabilité des commentaires de l'ingénieur, particulièrement sur le fait de pouvoir entendre son propre système nerveux. Quelle que fût la vraie réponse, Cage était allé dans un endroit où il s’attendait au silence total, mais y trouva quand même du bruit… Plus tard, il ajouta « jusqu'à ma mort il y aura toujours du bruit et ils continueront à me suivre même après ». C’est à ce moment qu’il réalisa l’impossibilité de trouver le silence quel que soit l’endroit et qui le mena à composer son morceau le plus populaire : 4'33".

 

Cage écrivit dans Les confessions d'un compositeur (1948) que son désir le plus cher était de pouvoir composer un morceau de silence ininterrompu. Ce dernier durera 4 minutes et 33 secondes, qui est la longueur standard de la musique « en boîte » et que son titre sera « une prière silencieuse ». Cage commenta son œuvre : « Elle s'ouvrira avec une idée simple que j'essayerai de rendre aussi séduisante que la couleur, la forme et le parfum d'une fleur. La fin s'approchera de l'imperceptibilité ».

Les autres influences de ce morceau proviennent des arts visuels : des amis de Cage, tel Robert Rauschenberg avaient produit une série de peintures « blanches ». Apparemment « vides », ces toiles changeaient de ton en fonction de la luminosité de la chambre dans laquelle elles étaient exposées ou en fonction de l’ombre des personnes les visualisant. Ces dernières ont beaucoup inspiré Cage sur la possibilité de créer une œuvre employant ce même vide, mais dans le domaine musical cette fois ci.

Une autre influence probable est celle du bouddhisme Zen et de la notion de non-agir. John Cage suivit pendant deux années les cours que le Daisetz Teitaro Suzuki donna à partir de 1951 à l'Université Columbia de New York.

 

La performance

Le morceau a été interprété par David Tudor le 29 août 1952, au Maverick Concert Hall de Woodstock dans l'État de New York, en tant que partition de musique contemporaine pour piano. Le public l'a vu s'asseoir au piano, et fermer le couvercle. Après un moment, il l'ouvrit, marquant ainsi la fin du premier mouvement. Il réitéra cela pour le deuxième et le troisième mouvement. Le morceau avait été joué et pourtant aucun son n’était sorti. Ce que voulait son auteur, c’est que quiconque qui aurait écouté attentivement aurait entendu du bruit involontaire. Ce sont ces bruits imprévisibles qui doivent être considérés comme étant la partition de musique dans ce morceau. Ce dernier demeure encore controversé à ce jour, et est vu en tant que provocation de la définition même de la musique :

« […] les gens ont commencé à chuchoter l’un à l’autre, et certains ont commencé à sortir. Ils n’ont pas ri – ils ont juste été irrités quand ils ont réalisé que rien n’allait se produire, et ils ne l’ont toujours pas oublié trente ans après : ils sont encore fâchés. »

La longueur de 4'33" est en fait désignée par pur hasard. Et c'est ce temps qui donne son titre à l'œuvre. Cependant, bien qu’aucune preuve ne vienne avancer la théorie suivante, il semblerait que Cage ait choisi cette longueur de manière délibérée. En effet, quatre minutes et trente-trois secondes équivaut à 273 secondes. Cette valeur peut faire référence à - 273 degrés Celsius, soit le zéro absolu (température négative en degrés Celsius équivalent à 0 kelvin) où aucun mouvement ne peut se faire. Signe de la volonté d’atteindre le point mort d’où aucun son ne peut provenir. Une autre théorie, provenant du philosophe et spécialiste de John Cage, Daniel Charles, indique que 4'33" pourrait être un ready-made à la Marcel Duchamp du fait que John Cage se trouvait en France lors de l'année de composition de l'œuvre et que sur les claviers de machines à écrire en AZERTY le 4 correspond au signe « ' » et le 3 au signe « " ».

 

Ce morceau (qui en réalité est plus une expérimentation) se veut être une remise en question de la notion même de la musique. Cage considérait que « le silence est une vraie note », et il a eu l'ambition de dépasser ce qui est réalisable sur un morceau de papier en laissant la part totale à l'aléatoire (les éventuels bruits extérieurs dénués d'intention musicale mais pouvant être perçus comme du son en activité). Il est une invitation à l'écoute de cette activité qui ne s'arrête jamais.

 

 

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7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 09:00

Quoi ! Sans te soucier de l'océan qui gronde,

Tu veux ta place à bord, sur mon vaisseau perdu ;

Et pour dire à Colomb qu'il a trouvé son monde,

Tu n'attends pas, enfant, qu'il en soit revenu !

 

Dans tes bras frémissants j'ai mis ma tête blonde.

J'ai bu ton souffle en feu, dans mon sein répandu ;

Et, comme le pêcheur voit la perle sous l'onde,

Dans ton regard charmant j'ai vu ton coeur à nu.

 

Sois bénie, à jamais, pour cette foi sublime !

Sans redouter les flots je braverai l'abîme,

Puisque j'ai ton amour, comme une étoile, aux cieux.

 

Et mon nom restera, triomphant et sonore,

Afin que, dans mille ans, la terre sache encore,

Ô mon ange adoré, la couleur de tes yeux !

 

Confiance - Louis BOUILHET (1822-1869)

 

 

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6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 12:06

Quand au temple nous serons

Agenouillés, nous ferons

Les dévots selon la guise

De ceux qui pour louer Dieu

Humbles se courbent au lieu

Le plus secret de l'église.

 

Mais quand au lit nous serons

Entrelacés, nous ferons

Les lascifs selon les guises

Des amants qui librement

Pratiquent folâtrement

Dans les draps cent mignardises.

 

Pourquoi donque, quand je veux

Ou mordre tes beaux cheveux,

Ou baiser ta bouche aimée,

Ou toucher à ton beau sein,

Contrefais-tu la nonnain

Dedans un cloître enfermée ?

 

Pour qui gardes-tu tes yeux

Et ton sein délicieux,

Ta joue et ta bouche belle ?

En veux-tu baiser Pluton

Là-bas, après que Charon

T'aura mise en sa nacelle ?

 

Après ton dernier trépas,

Grêle, tu n'auras là-bas

Qu'une bouchette blêmie ;

Et quand mort, je te verrais

Aux Ombres je n'avouerais

Que jadis tu fus m'amie.

 

Ton test n'aura plus de peau,

Ni ton visage si beau

N'aura veines ni artères :

Tu n'auras plus que les dents

Telles qu'on les voit dedans

Les têtes des cimeteres.

 

Donque, tandis que tu vis,

Change, maîtresse, d'avis,

Et ne m'épargne ta bouche :

Incontinent tu mourras,

Lors tu te repentiras

De m'avoir été farouche.

 

Ah, je meurs ! Ah, baise-moi !

Ah, maîtresse, approche-toi !

Tu fuis comme faon qui tremble.

Au moins souffre que ma main

S'ébatte un peu dans ton sein,

Ou plus bas, si bon te semble.

 

Quand au temple nous serons - Pierre de RONSARD (1524-1585)

 

 

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5 mars 2011 6 05 /03 /mars /2011 17:55

L'obscurité, dans les chambres, le soir, est une

Irréconciliable apporteuse de craintes ;

En deuil, s'habillant d'ombre et de linges de lune,

Elle inquiète ; elle a de félines étreintes

 

Comme une eau des canaux traîtres où l'on se noie

L'obscurité, c'est la tueuse de la joie

Qui dépérit, bouquet de roses transitoires,

Quand elle y verse un peu de ses fioles noires.

 

L'obscurité s'installe avec le crépuscule ;

Elle descend dans l'âme aussi qui s'enténèbre ;

Sur le miroir heureux tombe un crêpe funèbre

La clarté, dirait-on, est blessée et recule

 

Vers la fenêtre où s'offre un linceul de dentelle.

L'ombre est un poison noir, d'une douceur mortelle !

Et voici qu'on frémit d'on ne sait quoi... c'est l'heure

Où le vol libéré des âmes nous effleure ;

 

Ah ! Quel trouble ! Et les peurs, les peurs dominatrices

Dans les rideaux des lits agitant des fantômes !

Et ces sachets du linge aux sensuels arômes !

Et les lampes, là-bas, rouvrant leurs cicatrices,

 

Qui vont recommencer à faire saigner l'ombre !

Mais l'ombre se défend contre les lampes frêles,

Epaississant dans les angles sa force sombre

- On écoute les moucherons griller leurs ailes... -

 

Et l'on soupçonne, à voir mourir les bestioles,

Que c'est l'obscurité qui se venge ainsi d'elles

Pour avoir aimé mieux que ses noires fioles

Le soleil qui revit dans les lampes fidèles !

 

L'obscurité, dans les chambres, le soir... - Georges RODENBACH (1855-1898)

 

 

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5 mars 2011 6 05 /03 /mars /2011 17:35

Va, mon âme, au-dessus de la foule qui passe,

Ainsi qu'un libre oiseau te baigner dans l'espace.

Va voir ! et ne reviens qu'après avoir touché

Le rêve... mon beau rêve à la terre caché.

 

Moi, je veux du silence, il y va de ma vie ;

Et je m'enferme où rien, plus rien ne m'a suivie ;

Et de son nid étroit d'où nul sanglot ne sort,

J'entends courir le siècle à côté de mon sort.

 

Le siècle qui s'enfuit grondant devant nos portes,

Entraînant dans son cours, comme des algues mortes,

Les noms ensanglantés, les voeux, les vains serments,

Les bouquets purs, noués de noms doux et charmants.

 

Va, mon âne, au-dessus de la foule qui passe,

Ainsi qu'un libre oiseau te baigner dans l'espace.

Va voir ! et ne reviens qu'après avoir touché

Le rêve... mon beau rêve à la terre caché !

 

Le nid solitaire - Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859)

 

 

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5 mars 2011 6 05 /03 /mars /2011 16:33

C'est une nuit d'été ; nuit dont les vastes ailes

Font jaillir dans l'azur des milliers d'étincelles ;

Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,

Permet à l'oeil charmé d'en sonder l'infini ;

Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,

De ce livre de feu rouvre toutes les pages !

Sur le dernier sommet des monts, d'où le regard

Dans un trouble horizon se répand au hasard,

Je m'assieds en silence, et laisse ma pensée

Flotter comme une mer où la lune est bercée.

 

L'harmonieux Ether, dans ses vagues d'azur,

Enveloppe les monts d'un fluide plus pur ;

Leurs contours qu'il éteint, leurs cimes qu'il efface,

Semblent nager dans l'air et trembler dans l'espace,

Comme on voit jusqu'au fond d'une mer en repos

L'ombre de son rivage, onduler sous les flots !

Sous ce jour sans rayon, plus serein qu'une aurore,

A l'oeil contemplatif la terre semble éclore ;

Elle déroule au loin ses horizons divers

Où se joua la main qui sculpta l'univers !

Là, semblable à la vague, une colline ondule,

Là, le coteau poursuit le coteau qui recule,

Et le vallon, voilé de verdoyants rideaux,

Se creuse comme un lit pour l'ombre et pour les eaux ;

Ici s'étend la plaine, où, comme sur la grève,

La vague des épis s'abaisse et se relève ;

Là, pareil au serpent dont les noeuds sont rompus,

Le fleuve, renouant ses flots interrompus,

Trace à son cours d'argent des méandres sans nombre,

Se perd sous la colline et reparaît dans l'ombre :

Comme un nuage noir, les profondes forêts

D'une tâche grisâtre ombragent les guérets,

Et plus loin, où la plage en croissant se reploie,

Où le regard confus dans les vapeurs se noie,

Un golfe de la mer, d'îles entrecoupé,

Des blancs reflets du ciel par la lune frappé,

Comme un vaste miroir, brisé sur la poussière,

Réfléchit dans l'obscur des fragments de lumière.

 

Que le séjour de l'homme est divin, quand la nuit

De la vie orageuse étouffe ainsi le bruit !

Ce sommeil qui d'en haut tombe avec la rosée

Et ralentit le cours de la vie épuisée,

Semble planer aussi sur tous les éléments,

Et de tout ce qui vit calmer les battements ;

Lin silence pieux s'étend sur la nature,

Le fleuve a son éclat, mais n'a plus son murmure,

Les chemins sont déserts, les chaumières sans voix,

Nulle feuille ne tremble à la voûte des bois,

Et la mer elle-même, expirant sur sa rive,

Roule à peine à la plage une lame plaintive ;

On dirait, en voyant ce monde sans échos,

Où l'oreille jouit d'un magique repos,

Où tout est majesté, crépuscule, silence,

Et dont le regard seul atteste l'existence,

Que l'on contemple en songe, à travers le passé,

Le fantôme d'un monde où la vie a cessé !

Seulement, dans les troncs des pins aux larges cimes,

Dont les groupes épars croissent sur ces abîmes,

L'haleine de la nuit, qui se brise parfois,

Répand de loin en loin d'harmonieuses voix,

Comme pour attester, dans leur cime sonore,

Que ce monde, assoupi, palpite et vit encore.

 

Un monde est assoupi sous la voûte des cieux ?

Mais dans la voûte même où s'élèvent mes yeux,

Que de mondes nouveaux, que de soleils sans nombre,

Trahis par leur splendeur, étincellent dans l'ombre !

Les signes épuisés s'usent à les compter,

Et l'âme infatigable est lasse d'y monter !

Les siècles, accusant leur alphabet stérile,

De ces astres sans fin n'ont nommé qu'un sur mille ;

Que dis-je! Aux bords des cieux, ils n'ont vu qu'ondoyer

Les mourantes lueurs de ce lointain foyer ;

Là l'antique Orion des nuits perçant les voiles

Dont Job a le premier nommé les sept étoiles ;

Le navire fendant l'éther silencieux,

Le bouvier dont le char se traîne dans les cieux,

La lyre aux cordes d'or, le cygne aux blanches ailes,

Le coursier qui du ciel tire des étincelles,

La balance inclinant son bassin incertain,

Les blonds cheveux livrés au souffle du matin,

Le bélier, le taureau, l'aigle, le sagittaire,

Tout ce que les pasteurs contemplaient sur la terre,

Tout ce que les héros voulaient éterniser,

Tout ce que les amants ont pu diviniser,

Transporté dans le ciel par de touchants emblèmes,

N'a pu donner des noms à ces brillants systèmes.

Les cieux pour les mortels sont un livre entrouvert,

Ligne à ligne à leurs yeux par la nature offert ;

Chaque siècle avec peine en déchiffre une page,

Et dit : Ici finit ce magnifique ouvrage :

Mais sans cesse le doigt du céleste écrivain

Tourne un feuillet de plus de ce livre divin,

Et l'oeil voit, ébloui par ces brillants mystères,

Etinceler sans fin de plus beaux caractères !

Que dis-je ? À chaque veille, un sage audacieux

Dans l'espace sans bords s'ouvre de nouveaux cieux ;

Depuis que le cristal qui rapproche les mondes

Perce du vaste Ether les distances profondes,

Et porte le regard dans l'infini perdu,

Jusqu'où l'oeil du calcul recule confondu,

Les cieux se sont ouverts comme une voûte sombre

Qui laisse en se brisant évanouir son ombre ;

Ses feux multipliés plus que l'atome errant

Qu'éclaire du soleil un rayon transparent,

Séparés ou groupés, par couches, par étages,

En vagues, en écume, ont inondé ses plages,

Si nombreux, si pressés, que notre oeil ébloui,

Qui poursuit dans l'espace un astre évanoui,

Voit cent fois dans le champ qu'embrasse sa paupière

Des mondes circuler en torrents de poussière !

Plus loin sont ces lueurs que prirent nos aïeux

Pour les gouttes du lait qui nourrissait les dieux ;

Ils ne se trompaient pas : ces perles de lumière,

Qui de la nuit lointaine ont blanchi la carrière,

Sont des astres futurs, des germes enflammés

Que la main toujours pleine a pour les temps semés,

Et que l'esprit de Dieu, sous ses ailes fécondes,

De son ombre de feu couve au berceau des mondes.

C'est de là que, prenant leur vol au jour écrit,

Comme un aiglon nouveau qui s'échappe du nid,

Ils commencent sans guide et décrivent sans trace

L'ellipse radieuse au milieu de l'espace,

Et vont, brisant du choc un astre à son déclin,

Renouveler des cieux toujours à leur matin.

 

Et l'homme cependant, cet insecte invisible,

Rampant dans les sillons d'un globe imperceptible,

Mesure de ces feux les grandeurs et les poids,

Leur assigne leur place et leur route et leurs lois,

Comme si, dans ses mains que le compas accable,

Il roulait ces soleils comme des grains de sable !

Chaque atome de feu que dans l'immense éther

Dans l'abîme des nuits l'oeil distrait voit flotter,

Chaque étincelle errante aux bords de l'empyrée,

Dont scintille en mourant la lueur azurée,

Chaque tache de lait qui blanchit l'horizon,

Chaque teinte du ciel qui n'a pas même un nom,

Sont autant de soleils, rois d'autant de systèmes,

Qui, de seconds soleils se couronnant eux-mêmes,

Guident, en gravitant dans ces immensités,

Cent planètes brûlant de leurs feux empruntés,

Et tiennent dans l'éther chacune autant de place

Que le soleil de l'homme en tournant en embrasse,

Lui, sa lune et sa terre, et l'astre du matin,

Et Saturne obscurci de son anneau lointain !

Oh ! que tes cieux sont grands! et que l'esprit de l'homme

Plie et tombe de haut, mon Dieu! quand il te nomme !

Quand, descendant du dôme où s'égaraient. ses yeux,

Atome, il se mesure à l'infini des cieux,

Et que, de ta grandeur soupçonnant le prodige,

Son regard s'éblouit, et qu'il se dit : Que suis-je ?

Oh ! que suis-je, Seigneur ! devant les cieux et toi ?

De ton immensité le poids pèse sur moi,

Il m'égale au néant, il m'efface, il m'accable,

Et je m'estime moins qu'un de ces grains de sable,

Car ce sable roulé par les flots inconstants,

S'il a moins d'étendue, hélas ! a plus de temps ;

Il remplira toujours son vide dans l'espace

Lorsque je n'aurai plus ni nom, ni temps, ni place ;

Son sort est devant toi moins triste que le mien,

L'insensible néant ne sent pas qu'il n'est rien

Il ne se ronge pas pour agrandir son être,

Il ne veut ni monter, ni juger, ni connaître,

D'un immense désir il n'est point agité ;

Mort, il ne rêve pas une immortalité !

Il n'a pas cette horreur de mon âme oppressée,

Car il ne porte pas le poids de ta pensée !

 

Hélas ! pourquoi si haut mes yeux ont-ils monté ?

J'étais heureux en bas dans mon obscurité,

Mon coin dans l'étendue et mon éclair de vie

Me paraissaient un sort presque digne d'envie ;

Je regardais d'en haut cette herbe; en comparant,

Je méprisais l'insecte et je me trouvais grand ;

Et maintenant, noyé dans l'abîme de l'être,

Je doute qu'un regard du Dieu qui nous fit naître

Puisse me démêler d'avec lui, vil, rampant,

Si bas, si loin de lui, si voisin du néant !

Et je me laisse aller à ma douleur profonde,

Comme une pierre au fond des abîmes de l'onde ;

Et mon propre regard, comme honteux de soi,

Avec un vil dédain se détourne de moi,

Et je dis en moi-même à mon âme qui doute :

Va, ton sort ne vaut pas le coup d'oeil qu'il te coûte !

Et mes yeux desséchés retombent ici-bas,

Et je vois le gazon qui fleurit sous mes pas,

Et j'entends bourdonner sous l'herbe que je foule

Ces flots d'êtres vivants que chaque sillon roule :

Atomes animés par le souffle divin,

Chaque rayon du jour en élève sans fin,

La minute suffit pour compléter leur être,

Leurs tourbillons flottants retombent pour renaître,

Le sable en est vivant, l'éther en est semé,

Et l'air que je respire est lui-même animé ;

Et d'où vient cette vie, et d'où peut-elle éclore,

Si ce n'est du regard où s'allume l'aurore ?

Qui ferait germer l'herbe et fleurir le gazon,

Si ce regard divin n'y portait son rayon ?

Cet œil s'abaisse donc sur toute la nature,

Il n'a donc ni mépris, ni faveur, ni mesure,

Et devant l'infini pour qui tout est pareil,

Il est donc aussi grand d'être homme que soleil !

Et je sens ce rayon m'échauffer de sa flamme,

Et mon coeur se console, et je dis à mon âme :

Homme ou monde à ses pieds, tout est indifférent,

Mais réjouissons-nous, car notre maître est grand !

 

Flottez, soleils des nuits, illuminez les sphères ;

Bourdonnez sous votre herbe, insectes éphémères ;

Rendons gloire là-haut, et dans nos profondeurs,

Vous par votre néant, et vous par vos grandeurs,

Et toi par ta pensée, homme ! grandeur suprême,

Miroir qu'il a créé pour s'admirer lui-même,

Echo que dans son oeuvre il a si loin jeté,

Afin que son saint nom fût partout répété.

Que cette humilité qui devant lui m'abaisse

Soit un sublime hommage, et non une tristesse ;

Et que sa volonté, trop haute pour nos yeux,

Soit faite sur la terre, ainsi que dans les cieux !

 

L'infini dans les cieux - Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)

 

 

If the doors of perception were cleansed, everything would appear to man as it is : infinite.

 

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5 mars 2011 6 05 /03 /mars /2011 08:10

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,

Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,

Verse confusément le bienfait et le crime,

Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

 

Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore ;

Tu répands des parfums comme un soir orageux ;

Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore

Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.

 

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?

Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;

Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,

Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

 

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;

De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,

Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,

Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

 

L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,

Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !

L'amoureux pantelant incliné sur sa belle

A l'air d'un moribond caressant son tombeau.

 

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,

Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !

Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte

D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?

 

De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,

Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,

Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -

L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?

 

Hymne à la beauté - Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

 

 

 

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 16:09

N'est-ce pas qu'il est doux, maintenant que nous sommes

Fatigués et flétris comme les autres hommes,

De chercher quelquefois à l'Orient lointain

Si nous voyons encore les rougeurs du matin,

 

Et, quand nous avançons dans la rude carrière,

D'écouter les échos qui chantent en arrière

Et les chuchotements de ces jeunes amours

Que le Seigneur a mis au début de nos jours ?

 

Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

 

 

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