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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 09:48

Longtemps, j'ai vécu comme ça : verrouillée, intriguée par ce large fleuve d'amour qui semblait inonder la société mais ne m'irriguait pas, moi. Pourtant, cela semblait formidable, l'amour : on en faisait des films, des livres, des histoires dans les journaux, des baptêmes, des anniversaires, des fêtes de la Saint Valentin, des paquets, des étrennes, des bébés, des drames et des mystères.

Je regardais tout cela, curieuse, mais froide. Je taisais cette infirmité, me traitais de monstre, me forçais à éprouver quelque chose qui ressemblât à du sentiment, à une émotion, m'obligeais à exhumer un souvenir douloureux pour rejoindre le club des pleureurs et des pleureuses, des amoureux et des amoureuses, et quand il m'arrivait de faire tomber une larme bien salée, bien ronde, bien pleine, quand, enfin, j'avais trouvé matière à m'émouvoir, à sangloter et que je lâchais les larmes qui m'étouffaient, je n'en revenais pas : je pleurais sur moi. Seule ma petite personne m'inspirait un chagrin irrésistible et incontinent. Je ne pouvais plus m'arrêter. Une douleur ancienne se mettait en branle sans que je puisse la maîtriser. Alors je me cachais, honteuse, et feignais de compatir à la douleur ou de participer au bonheur des autres. J'appris très vite à faire semblant et personne ne devina l'étendue de mon insensibilité.

 

 

 

L'apparence est la forme qu'empruntent les gens pour que les autres ne les voient pas. Ne devinent pas leur malaise intérieur.

Je me fabriquai donc un personnage gai, volontaire, énergique, coquet, pimpant, pin-pon-pin-pon, toujours prête à donner l'exemple, à me plier aux volontés des uns et des autres afin d'éloigner les éclairs que je sentais sans arrêt sur le point d'éclater entre ces grandes personnes si puériles qu'étaient mes parents et qui n'arrivaient pas à se quitter pour de bon.

 

[...]

Quand papa fut parti, définitivement parti, c'était trop tard pour changer de vie. Chacun y tenait un rôle et j'étais devenue ce petit lutin charmant qui ensorcelait les hommes et menait la danse pour ne pas être scalpée. J'avais enfoui au fond de moi ma rage, mon courroux, mon impuissance à réconcilier mon monde, ma méfiance envers ce beau sentiment qu'on appelait « amour » et qui ressemblait si fort à la guerre.

 

 

Je voulais tout savoir d'elle. La connaître petite fille, la suivre pas à pas dans l'histoire de sa vie. Je n'avais pas besoin de beaucoup la forcer pour qu'elle raconte. Elle avait envie de faire peau neuve, de se délivrer de son passé pour se remettre, toute nouvelle, entre mes mains. Elle possédait, à la fois, une innocence de petite fille et une rouerie de femme qui connaissait la vie. On ne la lui faisait pas ! Elle avait déjà tout connu ! Elle disait ça en soupirant telle une vétérante de l'amour. Et, en même temps, elle me demandait avec émerveillement si ça ne m'ennuyait pas d'entendre tout ça.

Ça ne m'ennuyait pas. Ça m'irritait. Ou m'attendrissait. Je la détestais et j'avais envie de la protéger. Parfois, j'avais envie de lui dire arrête, arrête, tais-toi, mais c'était plus fort que moi, il fallait que je sache tout d'elle, que j'aie toutes les cartes en main.

Je voulais qu'on reparte de zéro, elle et moi. Que notre histoire ne ressemble à aucune autre. [...]

Je voulais qu'elle comprenne que je n'étais pas comme les autres. Qu'elle n'allait pas me prendre et me jeter. J'avais tellement de choses à lui dire, à lui offrir, à lui faire connaître. Je réclamais du temps, une éternité de temps. Je voulais construire des rêves avec elle, des voyages, des aventures, déterrer de vieux mythes et leur rendre vie, la hisser au sommet de mon Olympe et que les Dieux se retournent sur elle. Se retournent sur nous.

J'avais faim d'elle, faim de son corps. Mais je voulais être celui qui décide, celui qui mène le jeu. Elle m'était déjà trop importante pour que je prenne le risque d'être un amant comme les autres.

Je voulais être son dernier amant, l'homme ultime de sa vie.

 

 

 

Je mis du temps à apprendre à vivre avec moi-même. A recoller tous mes petits bouts éparpillés. A vivre en bonne camaraderie avec mon âme. Du temps, de la peine, un vrai travail de limier.

J'appris en observant les autres. Je les espionnais et empruntais les méthodes d'un détective privé. Je collectais et analysais les petits indices qui traînent et en disent long. Les policiers de Scotland Yard n'ont rien à me reprocher. Je suis devenue experte dans les méandres du cœur et reconnais, au premier coup d'œil, l'épouse quasi abandonnée qui ne tient à la vie que par une routine mécanique et une poignée du Prozac, celle qui épuise le mâle de revendications amères ou la rouée qui l'exploite, sournoise et goguenarde. Je sais l'énervement bridé du mari lassé et la réplique qui fuse, épinglant le détail anodin où déverser une colère qui n'ose porter son nom. Je connais les mensonges-ritournelles de l'homme infidèle, sa fausse légèreté d'homme pressé et la couardise de la femme qui ne veut pas voir. La vie des autres est un champ d'observation infini où les détails engrangés vous permettent d'avancer en vous-même comme dans une enquête criminelle. On ne s'ennuie jamais à contempler l'heur ou le malheur d'autrui tant il vous renseigne plus efficacement que n'importe quel docteur de l'âme sur vos propres désordres. Tant il est vrai aussi que ce qui vous saute aux yeux, vous irrite ou vous tord les entrailles est le reflet exact de vos propres manques, défauts ou souffrances que vous vous obstinez à nier, à mettre de côté.

 

texte : Katherine Pancol - J'étais là avant

 

 

 

"Les questions, c’est de ton âge. Quand on ne s’en pose plus, c’est mauvais signe. Certaines personnes n’arrêtent jamais de s’en poser parce qu’il n’y a pas de choix idéal, pas une vérité, mais plusieurs vérités. Tout dépend de quel côté on se place. Il suffit de trouver la sienne." 

 

 

 

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