- Et si je vous demandais quelle est pour vous la définition de l'amour ?
[...]
- Quand j'ai rencontré Philippe, il y a presque vingt ans, le ciel m'est tombé sur la tête et je me suis dit : maintenant, je peux mourir...
- Moi, j'emploierai trois mots... Trois petits mots et une virgule : enfin, je sais...
- Et moi, un seul : toujours...
Et toi ? Demandent leurs trois regards tournés vers moi.
- Moi, je ne sais toujours pas.
Je sais la tendresse, l'affection, le respect, l'admiration, le désir, le plaisir mais l'amour, je ne sais pas. Je cherche toujours.
Et aujourd'hui, est-ce que tu sais ?
Ma bouche est près de ton oreille mais je ne te pose pas la question. Je sais que tu me le diras, un jour, que ces trois petits mots, tu me les crieras. Parce que j'aurai tout fait pour ça. Je vais t'anéantir d'amour, prévenir le moindre de tes désirs et le combler aussitôt. Toi et moi, on ne fera plus qu'un. Sans moi, tu ne seras plus rien. Tu ne sauras plus rire, plus marcher, plus aimer, plus écrire. Tes rêves, même, m'appartiendront. Je remplirai ton corps et ta vie comme une source chaude.
Je sais presque tout de toi.
Avec toi, je vais parcourir le monde. Avec toi je vais vivre, je vais vivre mieux. On a déjà vécu plein de choses chacun de notre côté, ce n'est pas la peine de se raconter des histoires, mais toi et moi, c'est la vie que nous conquerrons, c'est la vie que nous survolerons en aventuriers intrépides et parfaits...
Je n'ai jamais cru au couple. Je crois en moi, à la personne que je suis, libre de tout attachement, capable d'être seule, d'y trouver même le plaisir et la paix absolus. Je ne pense pas qu'il soit possible de vivre à deux. En revanche, je crois à l'amour, à l'élan vers l'autre, à la fidélité, à l'envie d'aimer, et je crois en même temps au mensonge qui se cache derrière ces soleils-là.
Mais je ne sais rien de la vie. Je la subis en donnant des coups de dents, au hasard, pour me défendre. Je suis impatiente, violente parfois, méchante. Je déteste ce monde où je n'ai pas ma place. Je déteste les gens qui ont l'air si à l'aise dans ce monde où je n'ai pas ma place. Je les déteste et je les envie. Comment font-ils pour parler, pour s'exprimer, pour avoir la peau si nette, les cheveux si bien coiffés ? Qu'est-ce qu'ils ont mangé ? Avec quel savon se sont-ils lavés ? Quels livres ont-ils lus ? Qui les a écoutés quand ils ont prononcé leurs premiers mots ? Qui les a encouragés, applaudis peut-être ? Ils sont nés tout armés. Protégés et sûrs d'eux. Je fais tout pour leur ressembler et je ne réussis qu'à les singer. Je suis une pauvre imitation de ce que j'imagine qu'il faut être. Je fais semblant tout le temps. Je deviens blonde, toute blonde. Le visage beige, tout beige. Le sourire éclatant, tout en dents. Et je n'attrape que des bribes de cette vie qu'ils semblent maîtriser avec tant d'aisance. Leur place est réservée, je me tiens debout, en équilibre, en liste d'attente.
- Parfois, c'est toi qui te flinguais toute seule en t'offrant à n'importe qui.
- On ne sait jamais, je me disais, c'est peut-être le bon... J'avais tellement envie qu'on m'aime et qu'on me regarde.
- Tu étais prête à l'habiller de toutes les qualités, tu le transformais aussitôt en homme parfait et le hissais en haut des sommets. Il ne pouvait que dégringoler ensuite et toi, tu le détestais, tu étais malheureuse d'avoir été flouée. Mais tu t'étais flouée toute seule...
- Je ne tombais pas amoureuse parce qu'il était séduisant, plein de fric ou puissant mais parce qu'il me regardait... S'il me regarde, c'est que je vaux quelque chose. S'il me regarde, je déplacerai des montagnes pour lui...
Il me traitait avec tant de soin, tant de méticulosité, tant de tendresse, tant de générosité. Je recevais, les yeux écarquillés, ses tranquilles cadeaux qui, tous, me ressemblaient, venaient se poser sur mon cœur, sur mon âme, sur mon corps comme une nouvelle peau. Telle une terre privée d'eau, craquelée, éventrée, je buvais son amour et me reconstituais.
Il me regardait et, sous son regard, je devenais géante.
Nous étions deux géants qui dominions le monde. L'univers était trop petit pour nous. Nous en faisions une mappemonde que nous arpentions en vainqueurs arrogants, intrépides, sautant d'une grotte aux trésors à une autre. Jamais fatigués, jamais lassés, jamais compassés. Ignorants du danger. Invincibles. Inscrits dans l'éternité.
texte : Katherine Pancol - J'étais là avant